APOCALYPSE la 2ème Guerre Mondiale
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Apocalypse par Gisèle Clark
Réalisason N° 58 novembre-décembre 2009
Airbil, le bruiteur qui aimait les avions...
Dès les premiers épisodes du documentaire Apocalypse, j’ai été frappée par
la qualité des bruitages qui composaient la bande son, alors j’ai attendu
le générique de fin pour y voir figurer un nom que j’avais connu 30 ans auparavant
: Gilbert Courtois. Ce musicien, chanteur d’un groupe de rock avec qui j’avais
enregistré des maquettes en...1971, était donc passé de l’autre côté de la
vitre ! Rendez-vous fut pris en octobre, chez Airbil, le studio de création
sonore de Gilbert, avenue de la Grande Armée (tiens tiens !) à Paris.
En six épisodes de 52 minutes, le film Apocalypse raconte la Seconde Guerre
Mondiale à travers le regard de ceux qui l’ont vécue. Cette série documentaire
exceptionnelle, est constituée exclusivement d’images d’archives et construite
comme une grande fresque cinématographique. Aux images très connues ou inédites
en couleur et en haute définition, le son entièrement retravaillé en 5.1 et
la voix de Mathieu Kassovitz apportent un réalisme saisissant. Ça fait longtemps
que Daniel Costelle travaillait sur ce projet, il avait même déclaré à plusieurs
reprises que ce serait son testament. Il comptait réaliser 12 épisodes, mais
France 2 a refusé, alors le projet est descendu à 9, pour terminer avec 6
! Incapables de pratiquer les coupes demandées par la production, Daniel Costelle
et Isabelle Clarke ont délégué cette responsabilité à France 2. Dès sa diffusion,
le documentaire Apocalypse a fait couler beaucoup d’encre, notamment au sujet
de la colorisation (curieusement, le travail sur la bande son n’a pas déclenché
le même type de controverse !) Pourtant, la colorisation n’a pas été traitée
de façon anarchique. Les documentalistes disposaient de suffisamment de références
couleurs, notamment grâce à des photos, qui ont permis de travailler les images
avec le plus grand respect. Et comme ce documentaire est destiné à être largement
diffusé pour les générations futures, habituées à des images de qualité et
à des montages rapides, la mise en couleurs rend - à mon avis - le documentaire
plus proche de la réalité que de la fiction. J’ai eu l’occasion de suivre
quelques épisodes avec des jeunes, et ils étaient littéralement scotchés.
Gilbert Courtois m’a dit avoir vécu la même chose avec un voisin : exit la
Game Boy, les ados regardaient avec un vif intérêt deux épisodes d’un seul
coup, et piaffaient d’impatience en attendant la suite ! Mais laissons les
images aux spécialistes (un très bon documentaire sur le traitement de l’image
figure dans les bonus du DVD), pour parler de ce qui nous intéresse ici, la
bande son.
Si Apocalypse a finalement connu le succès que l’on sait, au départ, ce n’était
pas gagné. Pour avoir déjà collaboré avec Daniel Costelle sur « L’aigle solitaire
» (un chef d’œuvre de 90 minutes sur la vie de Lindbergh) Gilbert Courtois
fut recontacté par Daniel qui lui demanda s’il était en mesure de réaliser
d’autres bruitages que ceux des avions. Apocalypse était déjà dans sa tête,
avec l’idée de se rapprocher d’un son de film plutôt que de documentaire,
et une référence cinématographique très précise : l’histoire du Soldat Ryan.
En précisant cette anecdote, Gilbert veut tirer son chapeau aux producteurs
d’Apocalypse, qui ont consenti à mettre les moyens qu’il fallait pour produire
une bande son sans le moindre compromis, sans présumer à l’avance si film
allait être ou non un succès. Au point que Daniel Costelle devra remettre
son « testament » à plus tard, car France Télévisions lui demande maintenant
de se pencher sur une nouvelle série, reprenant point par point les étapes
qui ont mené à la seconde guerre mondiale, expliquant la montée du nazisme,
etc.. Le coup d’envoi de la réalisation de cette nouvelle série de 6 documentaires
sera donné en juin 2010 !
Un peu d’histoire du son...
Au moment de commencer son travail et au vu de la charge qui l’attendait,
Gilbert Courtois s’est demandé comment il allait procéder. Fallait-il engager
quelqu’un pour l’aider ? Comment gérer les sons de la deuxième guerre mondiale
alors qu’on a très peu de références puisque la plupart des documents étaient
muets ? Retour en arrière.. C’est un peu avant 1936 que Georg Neumann a fabriqué
son fameux CMV3 (surnommé The Neumann Bottle) avec la première capsule tri-dimentionelle,
qui fut utilisé aux J.O. de Berlin en 36. Pour la première fois, le public
entendait des sons à l’image, car ce micro disposait d’une très bonne bande
passante. G. Neumann fut promu (pas forcément de son plein gré) responsable
du son du Führer. La fabrication des micros a commencé, partagée entre Neumann
et Telefunken. Pour fonctionner, les micros avaient besoin d’être alimentés
en 48 volts et pour fournir cette puissance, il aurait fallu un camion ! Il
était donc impossible de faire des prises de son sur les champs de bataille.
Les seuls sons existants ont donc été capturés lors des grands rassemblements,
pour les discours de Hitler par exemple. Gilbert, qui a eu l’occasion de visionner
maintes fois les séquences pendant le long travail d’habillage sonore, affirme
qu’on les voit brièvement dans la série, ces fameux CMV3. Au cours d’une séquence
où Hitler va médailler des soldats qui reviennent de Russie, en piteux état
pour la plupart, on distingue un jeune ingé-son de la Wehrmacht avec le CMV3
dans la main qui vient enregistrer le Führer, et derrière lui, un autre technicien
qui tient le gros toron de câbles. Quelques documents sonores seront produits,
notamment par la BBC qui avait acheté les tous premiers enregistreurs à bandes
magnétiques, et capté les premières attaques de Stukas en posant des micros
sur les toits de la station. La sirène du Stuka est fixée dans une jambe de
train, et quand l’appareil se met en piqué, il alimente une petite hélice
externe au bruit terrorisant que l’on connaît.
Du Q-Lock au bruitage
Comment passe-t-on de la musique au bruitage, quand le dernier titre qu’on
a enregistré s’appelle « Voyage Voyage », et l’artiste Desireless ? Gilbert
était ingé-son au studio d’Aguesseau, qui venait de s’équiper d’un système
de synchro avec l’image sur U-Matic et un Q-Lock asservissant un 24 pistes
3-M. Gilbert dévorait les documentations et a fini par se spécialiser en synchro
son/image. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé sur des musiques de film de long
métrage, avec Pierre Bachelet, Jean Yanne, Jannick Top, Roland Romanelli (tous
actionnaires du studio) et de devenir le roi du Punch -In, méthode ancestrale
qui consistait à enclencher le magnéto (on appelait ça dropper) au bon moment
pour palier à une défaillance musicale (en jargon zicos « rectifier un pain
»). Un jour, Gilbert se trouve à faire une séance de post-synchro avec un
bruiteur. Il s’agissait de reproduire le son d’une course de chevaux. L’homme,
Jonathan Liebling, s’installe avec ses caisses, ses valises, ses noix de coco,
sa terre, ses graviers, ses tissus humides, et prise après prise, Gilbert
entend naître le son d’une course de chevaux. A partir de ce moment-là, il
se dépassionne de la musique pour s’intéresser de plus en plus au son et entame
une nouvelle vie.
Et les avions ?
La passion de Gilbert pour l’aviation prend sa source de manière assez dramatique,
pour avoir entendu ses parents ressasser la guerre. Il en avait parfois assez
d’écouter ces histoires, mais la petite graine a germé doucement. Habitant
Orléans, les parents de Gilbert fréquentaient les pilotes américains de la
base voisine, qui rapportaient des gourmandises (des grands pots de glace
se souvient Gilbert avec des yeux pétillants), qu’ils étaient beaux dans leur
Jeep et ils faisaient des cadeaux, notamment des maquettes d’avion. Quittant
Orléans pour s’installer dans le midi en raison de l’état de santé de sa mère,
Gilbert tombe lui-même malade et occupe deux années d’hôpital à construire
de petites maquettes. La collection grandit, tout comme l’érudition de Gilbert
sur le sujet. La découverte d’une base aérienne en Normandie, quelques années
plus tard, lui fait se poser la question : que sont devenus les avions de
la seconde guerre mondiale ? Parrainé par Jean Sallis (fils du grand spécialiste
aéronautique Jean-Baptiste Sallis), Gilbert traîne ses pataugas sur les terrains
d’aviation, participe aux meetings, et en vient tout naturellement à enregistrer
des bruits d’avion. Dans le milieu audio, il se fait des complices, notamment
Richard Garrido qui lui fait découvrir les micros Audio Technica (l’AT-825).
Pour la prise de son en LCR, il trouve le parfait équilibre avec le SASS Crown
et un MKH-70 Sennheiser. « De nos jours, on peut faire du vrai 5.1 avec des
magnétos adaptés », nous confie-t-il, « mais la clé ce sont les micros ; par
exemple l’AT 825 n’est peut-être pas très précis dans les basses, mais en
revanche il a des médiums exceptionnels, idéal pour l’aviation mécanique,
c’est à dire pour les moteurs à pistons, les plus beaux sons de Spitfire ou
d’Hurricane, c’est avec lui que je les obtiens, alors que d’autres micros
donneront un son trop beau, trop rond, un peu comme le Neumann est parfois
trop parfait pour la voix. Mais la façon dont le 825 va « cuivrer » la partie
mécanique me ravit ! » Pour obtenir ses sons d’avions, Gilbert a développé
une petite technique, il utilise des MT 804 AT qu’il enregistre sur la dernière
génération de Minidisc Sony (fichiers Wave) et là il obtient des résultats
surprenants. Parfois, il confie son enregistreur à des pilotes, qui les embarquent
dans les Alphajets ou les Mirages 2000, avec ces deux petits micros omnis
qu’il accroche de chaque côté du col de la veste..
Les armes aussi
L’éditrice musicale Dewolfe a aidé Gilbert à constituer une banque de sons
authentiques d’armes. Le problème c’est que les sons n’ont jamais été libellés
de façon correcte. Alors comment les identifier pour les utiliser en bruitage
? Par leur cadence de tir, leur portée (ce qui pourrait s’apparenter à un
tempo en musique) Au fil du temps Gilbert a constitué une base de données
des armes qu’il est amené à utiliser pour ses bruitages. Les fichiers sont
référencés avec bien sûr, la séquence son, mais aussi une photo de l’arme
et sa fiche technique. Pour la partie son, il a constitué une time-line avec
les différents tempo, et peut ainsi positionner ses mitrailleuses, a définir
s’il s’agit d’un tir simple ou avec éjection des douilles, petit ou gros calibre,
etc..
Sur le terrain
Plutôt que chercher vainement certains bruitages, il en crée. Ainsi, pour
Apocalypse, Gilbert Courtois a passé tous ses weekends déguisé en soldat,
partant avec sa compagne enregistrer tous les pas qui lui seraient utiles.
Car c’était ce qui faisait défaut dans la bande sonore. « Il y avait des avions,
des chars, des armes, tu vois des mecs qui cavalent de partout et t’as pas
de son ! » se lamente-t-il Alors il a pris des gourdes, acheté des casques,
et arpenté la forêt du Lude avec sa bien-aimée. Il relate la séquence où De
Gaulle débarque d’une espèce de barge, et pour laquelle il ne trouvait pas
de son ad hoc. A la Ferté Allais, il a trouvé un container en métal et en
crapahutant dessus, il a réussi à reconstituer cette ambiance.
« Des projets comme Apocalypse, il t’en tombe un tous les 40 ans », alors
il s’agit de ne pas le rater. Vous avez deviné, Gilbert Courtois s’est pris
de passion pour tout ce qu’il voyait à l’image. Il mémorisait l’image, et
partait chercher ce qu’il n’avait pas en stock...Retour au studio le lundi,
editing des sons (dans Samplitude), calage et pas de temps perdu. Ce travail
minutieux, ciselé, on le retrouve dans l’image sonore d’un Rommel ou un Churchill
lorsqu’ils se déplacent.
Apocalypse a réussi le pari de donner de la vie à une image qui l’avait perdue...par
la couleur, la HD et le son. Cet article aura une suite, et dans le prochain
numéro, nous parlerons d’Isabelle Clarke et d’un certain Kenji Kawai, qui
a composé la musique de ce documentaire exceptionnel. Vous savez maintenant
quel cadeau vous faire pour Noël, DVD, Blu-Ray et livre souvenir, dont sont
extraites les deux photos illustrant cet article.